« Jerry ! JERRY ! reviens ici. » ça ? Oh… C’était Curtis. Qui criait après son beau labrador de pur race. L’animal avait tendance à un peu trop aller fourrer son nez partout, échappant parfois à la surveillance du beau blond. Heureusement, une invention révolutionnaire avait carrément facilité la vie de ces maîtres : la laisse. Celle que Curtis avait accroché à Jerry était noir, toute simple, avec un manche sur lequel il pouvait appuyer sur un bouton pour bloquer la laisse. Avec un labrador, certes, ce n’était pas vraiment utile, mais disons que… La personne à qui il allait faire ce magnifique cadeau, en aurait besoin.

Retour en arrière. Il y a de ça maintenant quelques mois, Curtis se promenait dans les couloirs du bahut, visiblement énervé. Il passait dans le bâtiment où se déroulaient tous les cours de musique. Il s’était assis par terre un moment et avait tendu l’oreille, écoutant à la porte d’une salle de musique. Une belle mélodie l’avait, sans le vouloir, attiré à cet endroit précis, contre ce mur. Du violon… Une mélodie entraînante qui avait le don de l’apaiser. Appuyant sa tête contre le mur, il ferma les yeux un instant, les genoux relevés, savourant les moindres notes de la mélodie. Il fut étonné du talent de l’élève qui jouait cette mélodie, il semblait être doué. Peut-être même plus que ça, peut-être en faisait-il depuis sa plus tendre enfance ? Ca semblait logique. Mais soudain, la mélodie s’arrêta et il rouvrit les yeux presqu’aussitôt. Il se releva, se décollant du mur et eut l’audace d’entrouvrir la porte. Il passa la tête et vit une jeune fille, seule dans cette grande salle, jouant du violon. Elle venait de pousser un petit soupir, et elle n’avait pas semblé le remarquer.

Il reconnut ce doux visage qu’il avait déjà vu une fois, dans les couloirs. Cette jeune fille, il l’avait bousculé violemment pendant qu’il courrait pour aller en cours. Oui, il était très en retard ce matin-là, et il l’avait bousculé. Heureusement, il l’avait rattrapé de justesse, lui évitant une chute, en posant instinctivement sa main gauche sur son épaule, et la droite sur son dos. Elle était si mince qu’il avait l’impression de tenir entre ses mains une poupée de porcelaine. Et il n’avait pas tort. Il n’avait pas pris le temps d’admirer son visage, et ce n’était que ce jour-là, en passant la tête dans la salle de musique, qu’il avait pris le temps de la regarder. Elle était mignonne. D’habitude, il ne se serait pas retourné pour la regarder, parce qu’il était toujours pressé pour faire autre chose… Elle était aveugle. Son infirmité lui était un véritable fardeau, et Curtis le ressentait à chaque fois qu’il la voyait dans les couloirs bondés d’élèves. Parfois même, les plus mauvais l’engueulaient en lui disant de faire attention. Crétins.

Le vrai jour de leur rencontre, fut une belle journée de Juillet. Curtis promenait Jerry qui n’était encore qu’un chiot labrador, qu’il avait recueilli sur le bord de la route quelques semaines avant. Le petit chien risquait de se faire écraser d’une minute à l’autre, et Curtis eut la générosité de l’adopter. Il portait un collier avec gravé son nom : Jerry. Une mignonne boule de poil à l’époque, couleur sable, pour laquelle il avait craqué. Curtis craquait rarement. Les animaux, c’était pas son truc. Pourtant, il avait des goûts tout à fait banaux : les chiots, il aimait bien. Il trouvait ça mignon.
Il promenait Jerry dans ce parc, lorsqu’il entendit à nouveau cette mélodie. La même finesse, et le même sentiment que lorsqu’il l’avait entendu pour la première fois. Il avait tourné la tête, serrant son poing sur la laisse de Jerry, à la recherche de la source de la mélodie. Et là, il l’avait revu. Assise sur un banc, les yeux fermés, elle jouait. Elle était très concentrée, et pas mal de gens s’étaient arrêtés pour l’écouter. Mais elle ne l’a jamais su. S’approchant du banc avec le chiot en laisse, il resta debout, contre un arbre, pas très loin, à l’écouter. Il ne s’était pas rendu compte qu’il avait lâché la laisse de Jerry, qui était allé aux pieds de la violoniste. Elle avait esquissé un sourire, avant d’envoyer la main sur le museau de l’animal, puis lui caressant la tête. Gêné, Curtis avait rappelé le chiot. Elle avait alors tourné la tête vers lui, et avait souri. Il s’était approché doucement pour attraper le chiot dans ses mains et avait gardé un sourire sur ses lèvres un long moment. Il aurait aimé qu’elle le voie… Tellement aimé. Et qu’elle sache qu’il adorait ce qu’elle faisait. Il comptait partir, mais finalement, il était resté avec elle. Il avait commencé par lui dire qu’il l’avait déjà entendu dans les couloirs de l’école, et qu’elle jouait bien. Quoi de plus banal, me direz-vous ? Mais le temps passait et ils avaient eu l’occasion de se retrouver plusieurs fois. Une fois même, elle l’avait reconnu sans même qu’il ait à parler. Elle avait esquissé un doux sourire avant de déclarer, dans un chuchotement « Curtis… » . Il était content. Elle avait ce don pour reconnaître les gens rien qu’à leur toucher.

Jour de la St-Valentin. 14 Février 2012. Alors quoi ? Il faut faire un cadeau à sa valentine, n’est-ce pas ? Bien que Hyo Rin était loin d’être sa valentine, il n’avait pas vu d’autres occasions que la St-Valentin pour lui offrir ce beau labrador couleur sable. Alors, vêtu d’un jean Levi’s délavé au niveau des genoux et d’un pull noir en mérinos col V, il prit la direction de la salle de musique, avec, bien sûr, Jerry au bout de la laisse. Dans sa main gauche, il tenait un papier qu’il avait plié soigneusement. Il marchait, tenant fermement le chien maintenant âgé d’un an et quelques mois. Il se dirigea progressivement vers la salle de musique et vit un papier accroché sur la salle, disant que pour des raisons de travaux, elle resterait fermée quelques jours, et que les instruments avaient été transférés dans la salle de théâtre. Surpris, Curtis haussa les sourcils et tourna les talons, direction la salle de théâtre, à la recherche de Hyo Rin.

Quand il arriva devant les portes de la salle en question, il posa l’oreille contre la porte et écouta. Il n’y avait aucun bruit. Il se disait qu’il tomberait sûrement nez à nez avec une troupe d’acteurs et qu’il se taperait la honte de sa vie. Mais quand il ouvrit doucement la porte, il reconnut Hyo Rin, assise sur une chaise, sur scène. Curtis baissa le regard vers Jerry, qui semblait s’ennuyer là-dedans. Il soupira puis fit un « shtttt » au chien, qui s’assit aussitôt aux pieds de son maître. Le beau blond posa ses yeux sur ce qui l’intéressait le plus : cette violoniste au visage de porcelaine. Il la vit positionner le violon sur son épaule et appuyer doucement sa tête contre, commençant alors une mélodie nouvelle. Il s’assit doucement sur une des chaises de la salle, faisant signe du doigt au chien de s’assoir à ses pieds. Le jeune homme prenait plaisir à la regarder jouer. Comme si c’était toute sa vie qu’elle mettait sur quelques notes. Elle semblait épanouie, quand elle en faisait. Et il aimait la voir comme ça. Même si elle n’était qu’une bonne amie, ça lui faisait plaisir…